Triumph TRS - C’était il y a cinquante ans
par Edouard Burkhalter
Vous avez bien dit TRS ?
Tous les plus de cinquante ans, peu ou prou intéressés par les sports mécaniques, férus des 24 Heures du Mans, s'en souviendront. La vision de ces trois Triumph TRS, robe verte maculée par les aléas de la course, passant côte à côte la ligne d'arrivée, dimanche 26 juin 1960, n'était pas banale : au ralenti, comme à la parade, la n°59 au nez jaune, la n°28 au nez blanc et la N°29 au nez rouge saluent le drapeau à damiers agité par Jacques Loste, le Directeur de course. Trois voitures au départ; trois voitures à l'arrivée, une sacrée performance, par ailleurs marquée en noir et blanc par les crépitements des appareils de photos et les applaudissements des spectateurs ravis en ce bel après-midi ensoleillé. Pour ceux absents du circuit, le fait est commenté avec enthousiasme par la voie des ondes grésillantes ou repris abondamment, dès le lendemain, dans les journaux sportifs. C'était il y a 50 ans et je m'en souviens !
L'image fut bien sûr exploitée par la « Standard Triumph Motor Company » dans sa publicité de l'époque. C'est que la vente des TR3A battait son plein, surtout outre-Atlantique. Voilà qui allait « booster » les affaires et préparer les esprits à l'arrivée de la prochaine TR4 à fin 1961. Alors succès ? Euh ... pas tout à fait ! Si les trois voitures terminèrent bien la course, elles ne furent pas classées officiellement... pour raison de distance parcourue insuffisante ! Eu égard à leur cylindrée de deux litres, le règlement imposait aux trois TRS une distance minimale de 3.484,776 km à parcourir en 24 heures. Jusqu'à une heure avancée de la nuit : pas de souci, le tableau de marche fut respecté. Mais les performances des moteurs « Sabrina », déjà étrennés au Mans l'année précédente, faiblirent tant que les voitures perdirent les 15ème, 18ème et 19ème rangs qu'elles avaient acquis. Ainsi Keith Ballisat et Marcel Becquart, sur la n°28, immatriculée 926HP, échouèrent pour 26,374 km, à la moyenne de 144,100 km/h ; Les Leston et Mike Rothschild, sur la n°59, immatriculée 928HP, échouèrent pour 80,201 km ; alors qu'il manqua 120,512 km à Peter Bolton et Ninian Sanderson, sur la n°29, immatriculée 927HP, pour être classés.
Mais Triumph restera, cette année-là, la seule équipe de tout le plateau à mener son équipe complète à l'arrivée d'une épreuve remportée - ah oui, au fait - par les Belges Olivier Gendebien et Paul Frère, qui se partagèrent le volant d'une Ferrari, parcourant 4.217,527 km au total, à la moyenne de 175,730 km/h.
Que sont-elles devenues ?
Quatre TRS furent construites avec pour objectif de courir les 24 Heures du Mans 1960. On reprit la mécanique de base des TR3S qui n'avaient pas tenu la distance en 1959 (Notre ami Claude Dubois, alors pilote d'usine, pourra encore nous raconter la saga des pales de ventilateur volantes allant crever les radiateurs de refroidissement d'eau... ). Les châssis déjà rallongés furent également élargis ; les moteurs « Sabrina » à double arbre à cames en tête retrouvèrent du service ; les quatre freins à disques également, et on monta des directions à crémaillère. Les carrosseries par contre montraient des lignes tout à fait nouvelles, contrastant fort avec celles des « side-screens » TR2, TR3 et TR3A ou B, voire TR3S. Réalisées en fibre de verre, elles étaient basées sur celle du prototype « Zoom » (nom de code à l'usine) et préfiguraient en partie la TR4. Terminées en mars 1960 à Coventry, GB, les quatre TRS reçurent les immatriculations 926HP, 927HP, 928HP et 929HP. A la présentation des voitures, les magazines de connaisseurs furent plutôt sceptiques quant aux nouvelles lignes, indiquant qu'elles n'étaient pas du tout appropriées à la course. Malheureusement, ils avaient raison ! La TRS de 1960 ne présentait aucun progrès par rapport à la TR3S de 1959.
La nouvelle monture pesait 2.180 lb (980 kg) soit 155 lb (70 kg) de plus et son aérodynamisme ne la rendait pas plus efficace que sa devancière. Au contraire, lors de la course elle-même, les voitures étaient 10 secondes plus lentes au tour que leurs devancières. Cependant, on l'a vu, les trois voitures engagées terminèrent, offrant cette photographie flatteuse. Cette semi réussite fut à attribuer aux moteurs des voitures. Les sièges de soupapes souffrirent de martellement, provoquant un dérèglement de l'ouverture des soupapes, avec pour conséquence une baisse de puissance d'au moins 20%. Mais on reverra trois des quatre TRS au Mans en 1961 avec un résultat plus à la hauteur des attentes. Rendez-vous donc dans un an, dans votre « Triumph Express » préféré !
Pour l'heure, la question mérite d'être posée : Mais que sont donc devenues ces quatre voitures ? En 1962, British-Leyland, nouveau propriétaire de la marque Triumph, peu impressionné par ces succès au Mans, décida de fermer le département de compétition. Entre décembre 1962 et janvier 1963 toutes les TRS et le prototype Conrero (photo ci-dessous) quittèrent la Grande Bretagne pour les USA où ilss furent vendus. Leurs destinées furent diverses et mériteraient, pour les passionnés, une enquête bien documentée.
Actuellement, il semblerait cependant que 929HP soit en Pennsylvanie, roulant avec un moteur qui n'est pas le double arbre d'origine, et 926HP serait chez le même propriétaire, mais démontée. 927HP serait en Virginie, propriété d'une petite dame âgée. Son mari défunt l'avait mise en pièces avec le vœu de la reconstruire. 928 P et le prototype Conrero ont eu eu plus de chance. En 1986, ces deux véhicules furent découverts en Arizona par un « collectionneur » anglais très attiré par tout ce qui portait le préfixe « X », « Experimental » dans le langage de l'usine Triumph de l'époque. Cet excentrique « Englishman » décida de les rapatrier au Royaume-Uni. Bien lui en pris car en 1999, après des tribulations rocambolesques, deux Allemands passionnés, Arwed Otto et son fils Mike, purent racheter 928HP et réaliser une restauration dans les règles de l'art. Depuis, cette « rescapée » a fait le bonheur de nombreux « Triumphistes » qui ont pu l'admirer, la toucher, voire... comme l'auteur de cet article, s'asseoir dedans.
Et Sabrina dans tout cela ?
« Sabrina » permit la photo de groupe des trois TRS passant la ligne d'arrivée des 24 Heures du Mans en 1960 (et en 1961 !). Mais qui était donc « Sabrina » ? Ah oui, le moteur ! Son développement avait débuté en 1956/57. Avec celui-ci, les intentions de Triumph étaient doubles. Il pouvait donner à la marque le prix d'équipe « team prize » tant apprécié au Mans et, au bout du compte, être disponible pour la production en série d'une version de TR haut de gamme « musclée ».
Le moteur - 150 chevaux à 6.500 tours/mn - fut conçu « maison » suivant la technique dite en « sandwich ». Il comportait, bien avant les « hamburgers » de chez Mac Donald, cinq étages. Du bas vers le haut : le carter, la partie en-dessous du vilebrequin, celle au-dessus, le bloc avec les quatre chemises et enfin la culasse. Pour tenir le tout ensemble, il y avait cinq paires de gros goujons. L'alésage et la course étaient de 90 x 78 mm, donnant une cylindrée exacte de 1.985 cm3. La culasse était en alliage léger coulé avec des chambres de combustion hémisphériques et deux soupapes par cylindre. Les deux arbres à cames (et c'est là que cela devient intéressant !) étaient commandés par chaîne depuis l'extrémité avant du vilebrequin. La carburation était assurée par deux doubles carburateurs SU spécifiques.
Pour faciliter l'assemblage à l'usine et le service, une caractéristique du moteur était la localisation de l'entraînement des arbres à cames, de la pompe à huile, de celle à essence, du distributeur et du compte-tours sous un couvercle en magnésium placé sur le devant du moteur. Cette pièce reçu rapidement le petit-nom « nick-name » de « Sabrina » car elle faisait irrésistiblement penser au généreux galbe de Norma Sykes, une starlette anglaise du moment qui débuta sa carrière comme hôtesse sur le « Arthur Askey Show » : « Before Your Very Eyes » (à traduire par « Devant vos propres yeux »). Norma Sykes, qui avait pour nom de scène « Sabrina », présentait une plastique avantageuse dont les mensurations étaient 41 1/2 - 19 - 36 inches, soit 105 - 48 - 91 dans le système métrique !
Ainsi donc quatre TRS furent construites qui marquèrent l'histoire sportive de la marque Triumph. TR, on comprend ! Mais S ? Pour Sport ou pour… « Sabrina » ? Les paris sont ouverts !
Scoop
En avant-première, j’aimerais partager avec vous, amis du TCF et lecteurs du « Triumph express », cette nouvelle : La TRS immatriculée 927HP se trouve maintenant également en Allemagne, partageant le même « abri » que 928 HP ! Je les ai vues côte à côte ..
Elle a quitté, il y a quelques mois, la Virginie où elle était la propriété d'une dame veuve et âgée. Arwed et Mike Otto ont mis trois jours pleins pour remonter tant bien que mal la voiture totalement en pièces et la mettre dans un conteneur. Dans les quelques semaines qui se sont écoulées entre la rédaction de cet article et sa parution, j’ai eu le bonheur de rencontrer à deux reprises Arwed et Mike Otto et d'apprendre la nouvelle qui vous est donnée avec leur accord.
Si sa restauration le permet, il se pourrait même que 927HP soit visible en France , au Mans-Classic !