Une belle aventure dans les Aravis
Progression estivale sur la route des Grandes Alpes
23 et 24 juin 2012
par Jean-Paul Lamy
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Entre les sorties nationales très institutionnelles comme l’Event et les sortie régionales plus confidentielles, il reste une place pour des rencontres fort conviviales, les sorties interrégionales. Elles ont tout pour plaire : une certaine proximité et un effectif raisonnable qui permet de retrouver ses amis habituels et de nouer de nouvelles relations. La dernière sortie dans les Aravis en apporte la démonstration éclatante. Mais foin des mots, place à l’action…
Cette sortie restera dans les mémoires : théâtre d’opérations exceptionnel, état-major dominant parfaitement la situation, choix des cibles fort pertinent, ordre de marche clair et précis, fenêtre météo parfaitement maîtrisée. Bref, la bataille était gagnée d’avance.
Dès vendredi après-midi, toutes les forces mobilisées pour l’événement convergent vers le quartier général du Grand-Bornand, l’hôtel Vermont réquisitionné pour la circonstance. Nos troupes alpines sont plutôt hétéroclites, on y rencontre des gardes suisses, un contingent d’auvergnats, une escouade de lyonnais, des évadés anglais, quelques francs-tireurs et même quelques savoyards, bien sûr. Après le diner, notre général en chef Super-Claudette, impeccablement sanglée dans son bel uniforme blanc, harangue ses troupes. Silence dans les rangs, l’heure de départ demain matin est libre, à condition de partir à 8h45 précises, mais avec une tolérance de quelques minutes, quelle bienveillance !
Le jour se lève, les participants itou, pour être opérationnels à l’heure dite. Comme l’hôtel est loin d’être organisé pour servir autant de petits déjeuners à la fois, il s’ensuit un bel encombrement, mais pas de bousculade, car nous sommes en compagnie des « gentlemen drivers » d’un club de bonne tenue, n’est-il pas ?
L’horaire est respecté et le convoi de vingt-trois voitures se rue à l’assaut du premier objectif, le col des Aravis. Nous ne sommes pas seuls sur le chemin, une bétaillère barre la route aux audacieux qui prétendent la doubler, distillant à l’envi son trop plein de purin nauséabond sur la chaussée. Des hordes de cyclistes grégaires en mal de sensations fortes enserrent les Triumph, comme un essaim de guêpes attirées par un pot de miel de montagne. Il est vrai que sur les routes sinueuses, ces forçats de la route sont souvent plus rapides que les éléments les plus placides de notre arrière-garde. Bref, les chevaux des Triumph peuvent enfin s’exprimer et nos voitures parviennent à s’extraire non sans mal de leur gangue de cyclistes. Nous pouvons alors profiter d’une route dégagée qui permet de jouir pleinement du magnifique spectacle des Alpes, avec ses sommets, ses falaises, ses cascades et ses lacs. Nous contemplons à loisir la chaîne du Mont-Blanc sous son grand manteau immaculé.
Le col des Aravis conquis, nous fondons dans la vallée vers La Giettaz, Flumet, Notre-Dame de Bellecombe. Dans les descentes, la vue porte au loin sur les autres massifs qui émergent tour à tour à l’horizon, sous un ciel d’un bleu inhabituel, profond et dégagé de tout nuage. Puis l’assaut reprend avec l’attaque du col des Saisies (rien à voir avec la douane). L’ordre de marche de Super-Claudette est respecté et à 10h précises, la colonne s’immobilise devant la célèbre fruitière de Beaufort, haut-lieu du fromage du même nom. Objectif : tout savoir sur le Beaufort ! Nous découvrons en sous-sol une ligne Maginot insoupçonnée. Après un film de propagande laitière du meilleur cru, notre troupe visite des réserves stratégiques, les galeries remplies de meules de fromage alignées au cordeau et l’usine souterraine robotisée qui les produit presque clandestinement. Il fait frais sous terre, l’humidité ambiante et les puissants effluves d’ammoniac commencent à nous incommoder. Nous regagnons au plus vite des températures plus clémentes, prétextant des contraintes logistiques incontournables : apéritif, dégustation et achat de Beaufort.
L’objectif suivant est ambitieux : atteindre le fameux barrage de Roselend et poursuivre la progression jusqu’au célèbre « Cormet », à près de deux mille mètres d’altitude. C’est un col stratégique qui nous permettrait de passer du Beaufortin en Maurienne et d’approfondir ainsi notre découverte des différentes races de vaches laitières des alpages alentours. Mais tel n’est point l’objectif, nous devons rejoindre notre bivouac au-dessus du lac de Roselend, le restaurant « La Pierra Menta », du nom de l’original sommet qui lui fait face, avec son rocher si particulier, presque ridicule. Une jolie Triumph, bien pimpante dans sa robe verte si seyante, fait un vilain caprice de star et n’accepte de redémarrer que sous la menace d’un marteau, belle mentalité ! Nous déjeunons donc à « La Pierra Menta ». De mauvaises langues nous affirment que nous dégustons du dahu sans le savoir et non de la marmotte ou du lapin des cimes, que la semoule qui nous est servie est la graminée locale qui nourrit les ruminants et non de la vraie polenta comme en Italie. Nous ne cédons pas à l’intoxication.
La colonne reprend sa progression vers Le Grand-Bornand en enchaînant les cols, tout aussi beaux les uns que les autres : col du Pré, petit col de la Forclaz, col de l’Epine, col du Marais. La descente du col du Pré, extrêmement pentue, diablement étroite et vertigineuse à souhait est un moment fort qui impressionne les moins téméraires d’entre-nous, heureusement qu’il fait grand beau temps. De retour au camp de base du Grand-Bornand, la jolie Triumph verte fait son deuxième gros caprice de la journée, au grand dam de son équipage qui se résout à l’abandonner tout de go jusqu’à ce qu’elle entende raison. Ah, mais !
Au Grand-Bornand, la tradition du club reprend ses droits. Comme il sied, le président y va de son petit discours, art subtil dans lequel il excelle. Il décore dignement Super-Claudette, une vraie battante, de l’ordre de la « Clarine » sous les vivats des participants. Le vin d’honneur facilite les échanges. Le ton est donné : Marcel s’harnache de son accordéon rutilant et ses nombreuses groupies l’accompagnent aussitôt en chantant avec une mélancolie empreinte de nostalgie de vieux refrains qui n’ont rien de guerrier. Etoile des neiges…
Le lendemain, réveil au clairon pour un départ tout aussi libre que la veille, entre 8h43 et 8h47. Notre armée de Triumph doit rallier le château de Menthon-Saint-Bernard, après une reconnaissance approfondie de la vallée de Manigod. D’après des renseignements de source sûre, de jolies chapelles bien dissimulées résisteraient encore aux vagues de touristes. Puis notre troupe investit sans difficulté la cour d’honneur du château de Menthon. Nos spécialistes du renseignement relèvent bien quelques véhicules de marques étranges, subrepticement insérés dans le convoi. Heureusement, le conseil de guerre ne se réunira qu’après la bataille, pour statuer sur ces cas de trahison à peine dissimulée. Le château surplombe le lac d’Annecy, offrant une vue extraordinaire. Sa visite est intéressante à plus d’un titre, avec un peu d’histoire de la Savoie avant et après l’annexion et quelques épisodes de la saga presque millénaire de la famille de Menthon. Puis les Triumph reprennent leur progression vers Sévrier, en contournant tactiquement le lac par le sud afin d’éviter Annecy, célèbre pour son plan de circulation ubuesque et ses encombrements kafkaïens.
Pour conclure ce beau week-end, le restaurant Beauregard nous accueille pour le déjeuner dominical au bord du lac. Puis c’est l’heure des adieux et congratulations, avec la fricassée de museau de rigueur. Nous nous séparons en nous promettant de nous revoir au plus vite, dans des circonstances tout aussi extraordinaires, espérons-le !
Merci aux organisateurs de cette belle sortie qui ont magistralement dominé leur sujet et gagné la bataille. Nous nous souviendrons longtemps du parcours d’anthologie, des panoramas fabuleux et du soleil radieux. Nous retiendrons aussi leur gentillesse et la qualité de leur accueil.
Mes respects, ma générale et surtout, bravo Super-Claudette, tu as bien mérité du Triumph Club de France !